20/04/2015

Dans votre livre(1), vous déplorez que la dérive continue des finances publiques en France ait conduit les gouvernements successifs à canaliser l’épargne des ménages vers le financement de la dette d’État au détriment des actions. Est-ce la cause majeure du désintérêt des particuliers pour la Bourse ?

Jean-Paul Pierret : C’est d’abord un fait : en vingt ans, la part de l’actionnariat individuel est tombée de 25 à 11% de la capitalisation boursière française. On peut aussi le comprendre par la succession des crises boursières, en particulier la dernière de 2008. Pourtant, en général, les investisseurs individuels se montrent plus patients que les institutionnels et gardent plus longtemps leurs titres. Mais quand les familles se découragent, leur désintérêt pour la Bourse peut durer. Il est vrai que l’alourdissement de la fiscalité des valeurs mobilières depuis 2012 n’a rien fait pour arranger les choses.

Qu’est-ce qui pourrait inverser la vapeur ?
Jean-Paul Pierret :Tant que, en France, la dépense publique, qui représente 57% du produit intérieur brut, ne se rapprochera pas de la moyenne européenne – environ 47% – rien ne changera. C’est un enjeu d’économies de plus de 200 milliards d’euros. La fiscalité excessive décourage le placement en actions, qu’il soit en direct ou collectif, dans des sicav ou des fonds communs de placement logés ou non dans des contrats d’assurance vie.

■ Le nombre d’or de la Bourse
De toutes les mesures qu’il faudrait prendre pour parvenir à un financement plus sain de l’économie, quelle est celle qui vous semblerait la plus décisive ?

Jean-Paul Pierret : Sans doute la création de fonds de pension. Regardons simplement la performance de l’indice CAC 40 depuis sa création, il y a vingt-sept ans. Il a progressé en moyenne de 5,6% l’an, sans compter le rendement moyen des dividendes que versent les sociétés composant l’indice, qui est de 2 à 3% l’an. Donc, si l’on avait investi une bonne part de nos cotisations retraite dans une dizaine des belles valeurs du CAC 40, via des fonds de pension, plutôt que dans le régime général, la situation serait moins préoccupante aujourd’hui. En France, la fiscalité des placements ne tient pas assez compte de la notion de risque. Quand les actionnaires financent des entreprises via la Bourse, ils prennent davantage de risques
qu’avec un bien immobilier dont on perçoit, chaque mois, les revenus locatifs.

Malgré les krachs boursiers, la performance des placements en actions reste pourtant très attrayante sur longue période…

Jean-Paul Pierret : La démonstration a été faite aux États-Unis avec les valeurs américaines. Des universitaires de la Wharton Business School ont démontré qu’au XXe siècle les actions ont affiché une performance moyenne de 7% l’an, hors inflation, par période dix ans, alors que les obligations n’ont progressé que de 2 à 3% l’an. Et ce nombre d’or se vérifie sur la plupart des grands indices boursiers. La performance de l’indice CAC 40 s’en est rapprochée, mais sur une période plus longue de près de trente ans.

Dans votre livre, vous critiquez certains de vos ex-collègues analystes financiers qui privilégient les outils des mathématiques financières au détriment de la démarche d’empathie critique que vous prônez ?
Jean-Paul Pierret : Je suis souvent effaré par la longueur de certaines analyses financières mais surtout parce que, sur une trentaine de pages, vingt-cinq sont consacrées à la modélisation de l’évaluation de la société. Or, tous les grands gérants que j’ai fréquentés se moquent éperdument des valorisations trop précises faites par les analystes. Ils veulent avant tout comprendre le modèle de l’entreprise. Ils préfèrent qu’on leur décortique la chaîne de valeur et le mode de calcul des prix de revient.

■ Engouement pour la biotech
Vous avez participé à l’introduction en Bourse de Paris d’une dizaine de sociétés de biotechnologie.
Êtes-vous satisfait de l’engouement qu’elles ont suscité ?

Jean-Paul Pierret : C’est en tout cas la preuve que la Bourse peut à nouveau susciter un grand intérêt des particuliers. Mais ces sociétés très prometteuses, dont beaucoup n’ont pas encore affiché un seul euro de chiffre d’affaires, peuvent conduire leurs actionnaires à des désillusions s’ils ne comprennent pas que ce placement relève d’abord du capital-risque.

Propos recueillis par Alain Chaigneau
(1) «L’Entreprise à l’épreuve de la Bourse», édition Anfortas, 100 pages, 15 euros.