28/01/2015

Derrière les chiffres impressionnants de création monétaire annoncés par la BCE, il est peut-être nécessaire de rechercher une interprétation psychanalytique du comportement des citoyens européens.

La monnaie c'est compliqué, on peut entendre tous les jours l'homme de la rue, même bien éduqué, exprimer son incompréhension des mécanismes par lesquels une décision prise entre quelques individus réunis Kaiserstrasse à Francfort, pourrait influencer sa situation personnelle. Plus encore l'énormité des chiffres manipulés est en soi un facteur d'incompréhension. On s'en persuade en entendant poser de bonne foi la question: si c'est si facile d' "imprimer" de la monnaie, pourquoi ne pourrait-on verser directement à chacun des 335 millions de citoyens  européens 3300€, l'équivalent des 1100 milliards annoncés jeudi dernier. Derrière cette interrogation naïve s'exprime quand même un doute sur la capacité du système bancaire à répartir efficacement ce tsunami de liquidité qui va inonder l'Eurozone.

Pas d'hostilité de principe donc dans la population à  cette initiative de notre banque centrale mais une curiosité matinée d'une grande circonspection.

Si nous  restons au niveau du grand public, le souvenir d'un vernis d'économie scolaire, quand il existe, amène nos concitoyens à s'étonner que la vieille règle "planche à billet équivaut à inflation"  ne fonctionne plus, alors qu'intuitivement plus de monnaie pour le même montant de richesse devrait vouloir dire que chaque unité monétaire va valoir moins de richesse, ce qui est bien une définition de l'inflation.

Ce qui précède confirme, s'il le fallait, que la politique monétaire ne peut que très difficilement faire l'objet d'une consultation populaire.

Pour ce qu'il est convenu d'appeler les élites ou milieux bien informés: les gouvernements, les milieux d'affaires, les économistes, l'universelle approbation -en dehors des milieux allemands les plus conservateurs...ou les plus prudents- de l'annonce d'un QE à la Francfortoise, repose sur une interprétation bien différente.

Peu croient qu'une reprise de la croissance soit susceptible d'en résulter rapidement. De même l'inflation miraculeuse à la fois maîtrisable (oh souvenirs!) et susceptible de déclencher l'envie pavlovienne de se précipiter, dans les galeries marchandes pour acheter avant la hausse n'est pas non plus vraiment envisagée.

En réalité ces "responsables" comptent certes sur l'effet mécanique du change, il est incontestable, du moins à court terme, car souvenons-nous que sur nos dix-sept dévaluations du 20ème siècle une seule a réussi, celle que le Général de Gaulle a effectué en arrivant au pouvoir.
Il se trouve qu'elle avait été soigneusement préparée par un train de réformes entreprises sur les conseils éclairés de messieurs Rueff et Armand. On est là au cœur du cœur du sujet!  

Nombre de nos dirigeants éprouvent à la fois le complexe de l'assiégé et aspirent au confort de la redoute. L'émergence des nouveaux acteurs économiques de la planète est vue uniquement sous l'angle de la concurrence à bas coût qui en résulte et non pas comme une opportunité de nouveaux marchés, comme le démontrent pourtant non seulement des producteurs de biens de consommation pour classes moyennes mais également ceux des fabricants de biens industriels qui ont su s'adapter. Adaptation et réformes restent pour nombre de dirigeants européens des slogans dont la répétition tend à se substituer à la mise en œuvre.

Dans cette perspective l'ombrelle monétaire de la BCE est vue comme l'édification d'une muraille protégeant le cours tranquille du processus politique contre les impatiences de nos créditeurs. Il s'agit bien en effet d'une redoute virtuelle dont M. Draghi lui-même prévient qu'elle n'est là que pour acheter le temps nécessaire à la réalisation d'une mise à niveau de notre compétitivité. Il y aurait malentendu si l'Europe du Sud, dont la France, n'y voyait sournoisement qu'un délai supplémentaire, un de plus, pour prolonger sa longue hibernation économique, tout en disant "marchons, marchons "comme les figurants à l'Opéra en faisant du sur-place. Nul doute que la tentation sera de plus en plus grande, au gré des échéances électorales. On ne saurait évacuer d'une pichenette les appréhensions de Mme Merkel sur le sujet. Une monnaie considérablement affaiblie, des taux faibles autant qu'il le faudra, un baril à la moitié du coût marginal estimé des producteurs les moins bien placés, il va falloir de l'héroïsme aux pouvoirs publics pour ne pas succomber aux délices de la redoute. Surtout que la menace djihadiste va malheureusement offrir un paravent pour mettre en sourdine nos velléités réformatrices. Les prix de revient de nos entreprises ne sauraient se contenter de la très symbolique loi Macron, quelles que soient ses bonnes intentions.

06/01/2015

Pas plus que les années précédentes 2015 n'offre aux investisseurs le vertige d'une page blanche. La difficulté particulière de l'exercice cette fois tient à ce que l'an passé le marché avait dans son ensemble surestimé la vitesse d'écoulement du temps économique et notamment la vitesse à laquelle l'Europe pourrait surmonter ses blocages. Symétriquement il avait été sous-estimé le temps qu'il faudrait à la FED pour reprendre le contrôle de la croissance américaine en resserrant la bride monétaire. C'est ainsi que des choix d'allocation cohérents avec cette double erreur ont pu conduire à des investissements à contre-temps avec la réalité. Cette année on sent la majorité des acteurs plus circonspecte, mal à l'aise avec les sommets atteints aux USA mais encore sceptique devant le train de sénateur des progrès de la réforme de ce côté de l'Atlantique. Comme à l'accoutumée, les chartistes pour leur part déclinent sans complexes inutiles leurs mantras: " si cela monte cela continuera et inversement....!". Même les plus mystiques des investisseurs ne peuvent complètement s'en satisfaire.
Alors quels points d'appui pour 2015?      

Côté américain le tableau me paraît sorti d'une brume normande du type "Impression Soleil Levant" pour revêtir progressivement la netteté méridionale d'une "Montagne Sainte Victoire".
Même les US bashers les plus entraînés n'ont pu que tousser devant les chiffres délivrés depuis deux trimestres par l'économie  outre Atlantique, +4,6% puis 5,0%. Le théorème du bon chancelier Schmidt n'est plus une hypothèse, il est en cours de vérification, les divers moteurs de l'économie, privés comme publics, sont allumés, les profits sont bien en train de se convertir en emplois et en investissements. Concédons malgré tout aux grincheux que le taux de chômage affiché flatte quelque peu la réalité, amélioré qu'il est par l'affaiblissement de son dénominateur, la population active. Mais le phénomène est rendu structurel par le vieillissement et la difficile réadaptation des chômeurs les moins qualifiés, face aux sauts technologiques franchis pendant la crise. La réalité n'en demeure pas moins une solide création de jobs, en moyenne plus de 190 000 par mois depuis près  de cinq ans,  soit 10,9 millions !
Dans ces conditions l'extrême circonspection avec laquelle la FED reprend la main est bien calibrée pour laisser l'essor en cours se prolonger le plus longtemps possible. J'ai toujours été convaincu du caractère très positif pour le marché y compris de la phase de hausse des taux qui va se profiler. Madame Yellen rassure ainsi à la fois les observateurs les plus pusillanimes quant à sa vigilance, tout en donnant toutes ses chances à la croissance. La nouvelle force du dollar favorise la manœuvre en éliminant ainsi le risque d'inflation importée. Les ratios élevés des actions américaines doivent être appréciés à cette aune. Entre 8 et 10% la croissance annuelle des bénéfices réduit chaque année d'environ 1,5 point le PER des actions .

Pour ce qui est de l'Europe, on aimerait que la mécanique soit aussi bien réglée, ce n'est évidemment pas le cas, à peine plus que l'an passé à même époque. La banque centrale a  "agi" par la parole, édifiant par la magie du verbe draghien une muraille protectrice autour des taux souverains de la zone. Cette manœuvre était censée donner du temps aux divers gouvernements pour mener les indispensables réformes. Ce délai salvateur a été comme on le sait bien inégalement mis à profit, la France n'étant pas en pointe sur ce sujet! Malgré tout, quelques progrès ont été réalisés en Europe du  Sud, là où le besoin était le plus criant. Mais tant que les principaux membres de l'U.E. n'en seront pas venus à bout, les entreprises et les ménages etrouvant la confiance et les États désendettés leur capacité d'agir, l'imbrication des diverses économies y est trop forte pour que reparte vraiment la croissance. On manœuvre en outre plus difficilement une flottille de 28 membres qu'un seul vaisseau comme les USA, même à structure fédérale. Par ailleurs sa situation géographique impose des contraintes particulières à l'Europe. La proximité de la Russie est probablement une chance à long terme (cf le Weihnachtsmärchen de Noël) mais nécessite des coopérations délicates avec ce turbulent voisin. Enfin la proximité du monde musulman au sud impose, plus pour  des raisons géo- stratégiques qu'économiques, la solidarité avec un État aussi fragile que la Grèce.

Les marchés d'actions européens intègrent à contre-cœur toutes ces particularités et leur rattrapage global par rapport au marché américain n'est pas pour demain. Néanmoins c'est un cliché de rappeler que nombre de stars de nos marchés ont su depuis longtemps s'affranchir de ces contraintes continentales,  à l'exemple de ce que j'avais appelé naguère le CAC 13 des  groupes français  les mieux implantés hors d'Europe. Cet ensemble avait devancé l'indice parisien de plus de 60% de 2007 à 2013,encore en 2014 il a progressé en moyenne non pondérée de 6% face à un CAC 40 étale et ce malgré. le fort recul d'Airbus. Rappelons pour le plaisir que deux de ces 13 titres (L'Oréal et Essilor) ont progressé en moyenne de près de 15% l'an depuis fin 1987, origine du CAC 40, soit un doublement tous les cinq ans!

Je crois que 2015 ne verra pas encore la revanche des cycliques/domestiques, même si, souvent situées dans des secteurs énergivores et capitalistiques, ces valeurs tireront quelque profit de la baisse du pétrole comme de celle des taux d'intérêt. Par contre la hausse du dollar ne les concernera que marginalement.

Pour ce qui est de l'investissement direct sur les places émergentes, la circonspection, de toute façon de mise compte tenu parfois de l'insuffisance de la gouvernance de leur marché, doit désormais incorporer l'analyse de leur sensibilité aux prix des matières premières en tant que producteurs.

L'investissement dans les groupes européens qui y ont les plus fortes parts de marché demeure à mes yeux la meilleure façon de s'intéresser au développement, notamment de leurs classes moyennes.

Le dernier point d'appui incontournable d'un investissement en actions demeure très classiquement la prime de risque qu'il offre par rapport aux taux longs. Bien entendu ce type de raisonnement ne vaut que sur la durée. Or, sur ce plan, des rendements des dividendes de l'ordre de 2 à 3% selon les places, ajoutés à des valorisations annuelles des cours de 5 à 7% en moyenne, assurent des primes extrêmement confortables par rapport à des marchés obligataires souverains juchés sur des sommets historiques. Que pèsent vraiment face à cette réalité tant les mantras des chartistes que les coups de blues soudains qui ponctuent la volatilité quotidienne, telle celle de cette deuxième séance de janvier.

Finalement la stratégie fondamentale gagnante en Europe depuis le début de la crise a peu varié, hormis peut-être pendant la deuxième partie de 2013, alors que le marché voulait se convaincre d'une reprise de l'Europe. C'est à inscrire au débit de nos dirigeants mais au crédit des investisseurs qui ont su très rapidement rectifier le tir l'an passé.